28/04/2018
André Gaucher
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Alors qu’aura lieu demain la Journée Nationale du Souvenir des Victimes et des Héros de la déportation à laquelle participera la municipalité à 10h20 devant le Monument aux Morts, nous avons récemment interviewé André Gaucher… une des dernières victimes vivantes de la déportation en Ariège.
Pupille de la nation après la mort de son père alors qu’il est âgé de 6 ans, André Gaucher est né le 18 novembre 1918 à Harfleur (Normandie). En 1942, il quitte Paris « laissant les restrictions et les répressions » pour s’installer à l’âge de 24 ans, avec son épouse et ses deux enfants à Mirepoix. Il se retrouve soudain plongé « dans un décor de Courteline » lui rappelant Cloche Merle. Le scénario était en place… « Porcher le pharmacien qui parcourait les couverts en déclamant sur tous les sujets, suivi par des personnages représentant tout l’horizon politique notoire de cette commune ; Lasserre le futur avocat ; Castignole le peintre ; Bernadac le boucher, et bien d’autres… » Dans ce petit coin d’Ariège, « si ce n’est les tensions entre collaborateurs et ceux qui refusaient la défaite et l’occupation, la vie se passait tranquillement. » Ce qu’André aimait particulièrement était les instants passés chez Louis Hygounet. Engagé politiquement au sein du parti communiste, Louis avait fait la guerre de 14-18. Malgré l’occupation allemande, l’homme continuait de militer, d’aider les Républicains Espagnols. Ce qui pouvait passer pour des gestes de solidarité devenait avec la répression nazie in geste de résistance civile. Les mois passaient, cette résistance s’étoffait et André y prenait part. Trouver des papiers, préparer et distribuer des tracts, diffusion de la presse clandestine, sabotages dans les usines… « Tout ce qui pouvait enrayer la mécanique de l’occupant » était mis en œuvre, « notre seule arme », témoigne André. Leurs actions n’ont pas plu à la milice de Mirepoix qui a alerté les autorités allemandes. Dans les premiers jours de janvier 1944, André Gaucher qui travaille alors au pétrole d’Aquitaine à Tréziers échappant ainsi au STO (service du travail obligatoire), est convoqué à Lavelanet près de la gare. Il est reçu là, sur ordre des Allemands, par le chef de chantier qui lui demande si ses papiers sont en règle et le prévient du danger… André le sait, il doit se cacher. Avec femme et enfants âgés de 3 et 7 ans, il se rend au Mas d’Azil dans la famille de son épouse. Une quinzaine de jours plus tard, ils rejoignent Mirepoix et leur maison située entre le café Rouan et le café Castignole. Mais, au petit matin, ce 29 janvier 1944, les Allemands sont là. André est arrêté par la Gestapo pour agissements subversifs, alors que Journaux clandestins, tracts ainsi qu’un vieux fusil ont été découverts quelques jours plus tôt dans une baraque en bois appartenant à Louis Hygounet. Ce dernier était parvenu à s’enfuir et se cachait depuis. Ce qu’ignorait André. Après un passage au siège de la Gestapo à Foix, André est conduit à la prison de Saint-Michel à Toulouse. Là, il continue à nier connaître un tel ou untel, ou avoir connaissance des « actes terroristes » s’étant produits à Pamiers ou Lavelanet.
L’histoire dans l’histoire, celle de Joseph Galvan Lavelanétien
C’est à la prison Saint-Michel, avant son départ pour Mauthausen, que notre résistant rencontre John Carter un anglais faisant partie d’un réseau de passeurs. Ce dernier avait la charge de convoyer des aviateurs anglais abattus par la DCA allemande de Lyon à Pamiers par le train, puis en car jusqu’à Lavelanet chez Galvan. Un hôtel dont les Lavelanétiens se souviennent, il se trouvait derrière l'église. Là, Joseph Galvan, père de Jean, cachait ces aviateurs avant que des passeurs ne leur permettent de franchir la frontière franco-espagnole. Arrêté dans un hôtel de Pamiers avec huit Anglais, John Carter avait été forcé, « après plusieurs interrogatoires musclés », de dénoncer la filière. Joseph Galvan n’ayant pas pu être prévenu fut à son tour arrêté et conduit à Saint-Michel. André Gaucher se rappelle que lors du rassemblement pour Compiègne, au camp de Royallieu, les deux hommes se sont retrouvés face à face. « Galvan s’est jeté sur l’Anglais pour le tuer » raconte-t-il, « les Allemands ont dû les séparer à coup de crosse. » Le 6 avril 1944, c’est dans des wagons à bestiaux que les 1489 prisonniers entameront leur voyage de trois jours et deux nuits pour Mauthausen. La déshumanisation voulue par les nazis commence ici. « Le plus dur, c’était les appels qui duraient des heures, par n’importe quel temps, à n’importe quel moment. Il y avait aussi les kapos, leur droit de vie ou de mort sur les déportés, la sueur qui dégoulinait le long des parois goudronnées du wagon et que l’on buvait… » Après l'un de ces voyages de déportés dont nous avons tous en tête les horreurs décrites par les survivants, et dont seulement 5 parvinrent à s’enfuir, ces hommes se retrouvèrent à Mauthausen. André Gaucher fut dirigé non loin de là, à Gusen, tandis que d'autres, plus âgés, dont Joseph Galvan, furent dirigés vers Hartheim. André Gaucher tenta de s'infiltrer dans ce groupe-là pour rester avec Galvan, mais, surpris par un officier SS, il dut revenir dans le groupe de Gusen. C’est toujours avec émotion que 74 ans plus tard qu’André Gaucher, de l'émotion dans la voix, se dit que par cette réprimande, cet officier lui a sauvé la vie. Peu de temps après, les prisonniers de Hartheim, dont Joseph Galvan, furent gazés. « C’est la dernière fois que quelqu’un qui le connaissait le voyait ». C’était le 8 avril 1944 à 17h.
La libération du camp de Mauthausen intervient le 5 mai 1945. Au bout de quelques jours, les déportés seront évacués. Malade, André Gaucher sera expatrié un mois plus tard.
Un devoir de mémoire pour ne « jamais oublier, car oublier le mal, c’est permettre qu’il recommence ». Depuis plus de 50 ans, André Gaucher témoigne. Lui le matricule 62480, glisse : « oui, j’étais, nous étions de retour, nous les survivants des camps… Complétement perdus, même au milieu des nôtres, car la vie avait malgré tout continué en notre absence. Une question hantait nos esprits : avions-nous le droit de revenir à une vie normale ? Se lever le matin, se raser, prendre le petit-déjeuner, accomplir tous les actes de la vie courante comme si de rien ne s’était passé ? Après tout ce que nous venions de vivre ; après avoir vu mourir tant de bons copains ? » Le temps passa et André comme tant d’autres parla peu ou pas du tout. De retour en Ariège en 1968, il revoit Jean Miquel (ancien maire et déporté de Dachau) et d’autres. Un déclic. Alors, André Gaucher fidèle au serment de Mauthausen témoigne et continue aujourd’hui encore à bientôt 100 ans de témoigner « pour que la réalité de l’univers concentrationnaire ne tombe pas dans l’oubli. Pour que les jeunes, notamment ceux qui participent au Concours national de la résistance et de la déportation, prennent la relève pour perpétuer la mémoire. »